Net Zéro, l'ambition de neutralité carbone pour 2050, en questions - Entretien avec Jean-Claude Duplessy

Rédigé par
En ligne le
31 mars 2021
Net Zéro, l'ambition de neutralité carbone pour 2050, en questions - Entretien avec Jean-Claude Duplessy
31.03.2021
Net Zéro, l'ambition de neutralité carbone pour 2050, en questions - Entretien avec Jean-Claude Duplessy

Contactez-nous

Académie des sciences
23 quai de Conti, 75006 paris
France

Direction des comités, avis et rapports
Juliette Rochet
Juliette.rochet@academie-sciences.fr
01 44 41 44 62

À l’occasion du G7 qui se tient une fois par an, les académies des sciences des pays membres mènent à l’invitation de l’académie du pays organisateur un travail de réflexion en commun sur des thèmes scientifiques d’intérêt majeur.
Pour cette année 2021, les académies ont choisi le "Net Zéro", l’objectif de zéro émission de CO2 préconisé par le GIEC pour 2050, parmi les trois thèmes sélectionnés pour leurs déclarations en vue du sommet prévu du 11 au 13 juin au Royaume-Uni1.
Jean-Claude Duplessy, directeur de recherche émérite au CNRS, membre de l’Académie des sciences, a coordonné pour l’Académie des sciences la rédaction de ce texte. Dans un entretien accordé à l’Académie, il fait le point sur une ambition dont les enjeux environnementaux, sociétaux et économiques sont planétaires.

  • Dans son rapport spécial de 20182, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), préconise un objectif Net Zéro d’arrêt d’émission de CO2 en 2050.
    Que cela signifie-t-il ?

    Le Net Zéro signifie aucune émission nette de CO2, cela veut dire que nous n’ajoutons pas de nouvelles quantités de CO2 dans l’atmosphère. Il s’agit d’émission nette, les émissions peuvent continuer seulement si elles sont équilibrées en absorbant une quantité équivalente de CO2 présent dans l’atmosphère par exemple grâce à la reforestation ou sa capture.

    Cet objectif d’empreinte carbone négligeable préconisé par le GIEC pour 2050 devrait permettre de stabiliser le réchauffement climatique planétaire à 1,5°C et ne serait atteignable qu’en réduisant les émissions mondiales de CO2 de 40 Gigatonnes actuelles par an à 0 Gigatonne.


  • Comment est-il possible concrètement d’atteindre cet objectif ?

    Pour atteindre l’objectif Net Zéro, il faut décarboner tous les secteurs d’activité (production d’énergie, industrie, transport, habitat,..) produisant du CO2 . Globalement cela implique de
    • diminuer la consommation d’énergie grâce à des orientations technologiques et politiques économiquement viables et socialement acceptables ;
    • réduire la part des énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz) en les remplaçant par des énergies bas-carbone, les énergies renouvelables-ENRs (solaire, éolien, biomasse) et l’énergie nucléaire ;
    • découvrir de nouvelles sources de carbone (biomasse, CO2) autres que les ressources fossiles pour l’élaboration des principaux matériaux (polymères, acier, ciment…) et la synthèse d’une grande variété de composés organiques (médicaments par exemple) nécessaires même dans une économie décarbonée.


  • Quelles sont les contraintes principales ?

    La réduction des émissions de carbone doit garantir :
    • une sécurité totale d’approvisionnement en énergie, en particulier en électricité.
    Il faut bien garder à l’esprit que les énergies renouvelables sont intermittentes ; leur production est nulle durant des périodes sans vent et sans soleil. La stabilité du réseau peut être fragilisée par cette intermittence. Pour assurer la stabilité du réseau, tant que le stockage des énergies renouvelables n’est pas efficace, il est nécessaire de conserver une part suffisante de sources d’énergies pilotables, c’est à dire des énergies que nous sommes capables de produire de manière prévisible et mobilisable à tout moment, comme celles qui sont produites dans les centrales à combustible fossile (charbon, pétrole ou gaz), nucléaires ou hydrauliques ;
    • le plus bas coût possible ;
    • une souveraineté énergétique à l’échelle française et européenne en accroissant l’activité industrielle tout en minimisant ses besoins énergétiques d’une part – l’industrie nucléaire, les industries de transport (automobile, naval et aéronautique), la gestion des barrages... - et en développant de nouvelles industries "vertes" (solaire, éolien, batteries pour le stockage, hydrogène comme nouveau vecteur s’il est produit sans consommation de combustibles fossiles...) d’autre part.


  • Quelle est la place de la recherche dans l’ambition Net Zéro ?

    De nombreux domaines de recherche interviennent dans la trajectoire qui permettrait d’atteindre le Net Zéro. Les trois priorités principales sont de :
    • décarboner l’habitat par l’électrification du chauffage (grâce aux pompes à chaleur), la rénovation thermique, l’utilisation de nouveaux matériaux de structure et d’isolation pour améliorer les performances énergétiques ;
    • décarboner les transports à l’aide de nouvelles batteries, de matériaux composites/plastiques qui allègent les véhicules et de carburants alternatifs (biocarburants, carburants de synthèse, hydrogène décarboné) ;
    • décarboner l’industrie en utilisant de nouveaux procédés de production (ciment, acier,…), en capturant le CO2 émis dans les sites industriels, en le séquestrant dans des sites géologiques appropriés ou en l’utilisant comme source de carbone dans l’industrie.


  • Quelle est la situation de la France ?

    En France la baisse a déjà commencé : -20% depuis 2005, malheureusement essentiellement en raison de la désindustrialisation que l’on observe depuis les années 1980. En fait, aux émissions territoriales intérieures associées aux ménages et aux activités économiques intérieures, il faut ajouter les émissions indirectes associées aux importations qui comptent aujourd’hui pour 57% sur l’empreinte carbone de la France. Si nous produisions davantage en France et avec une énergie décarbonée nous pourrions réduire nos émissions de manière conséquente. En France, l’habitat, les transports et l’industrie restent les secteurs les plus émetteurs de CO2.



    Il faut une action française, européenne, mais aussi mondiale, le CO2 ne s’arrête pas à la frontière. Les efforts pour se rapprocher de la trajectoire Net Zéro n’auront de sens que s’ils sont partagés par les pays les plus émetteurs de la planète, c’est-à-dire la Chine, les États-Unis et l’Inde. Le problème est que ces pays continuent d’augmenter leur production. La part de la France dans la production mondiale de CO2 est anecdotique comparativement. En fait si la France disparaissait des statistiques, cela ne changerait rien pour le climat à l’échelle planétaire !


1 - Déclarations des Académies des sciences du groupe des sept (G7) nations, mars 2021

2 - IPCC Global Warming of 1.5 ∘C : An IPCC Special Report on the Impacts of Global Warning of 1.5 ∘C Above Pre-industrial Levels and Related Global Greenhouse Gas Emission Pathways, in the Context of Strengthening the Global Response to the Threat of Climate Change, Sustainable Development, and Efforts to Eradicate Poverty, 2018