Sismologie : retour sur le tremblement de terre en Turquie et en Syrie - Un œil sur l'actu
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Paris, le 8 février 2023
Le Sud-Est de la Turquie et la Syrie ont été touchés par un épisode majeur de tremblements de terre en début de semaine, occasionnant des dégâts humains et matériels considérables. Pourquoi la Terre a-t-elle tremblé à cet endroit ? Le grand tremblement de terre de 1999 qui avait frappé la région de Marmara, et notamment Istanbul, avait-il la même origine ? Pourquoi les séismes et leurs conséquences sont-ils si difficiles à prévoir ? Explications avec Michel Campillo, sismologue, professeur à l’Institut des sciences de la Terre de l’Université de Grenoble Alpes et membre de l’Académie des sciences.
Carrefour tectonique
Pour comprendre pourquoi la Turquie est une des zones sismiques les plus actives dans le monde, il faut rappeler ce que sont les grandes structures de la croûte terrestre dans cette région du globe. "La plaque anatolienne, sur laquelle se situe l’essentiel de la Turquie et Chypre, est prise en tenaille entre, au Sud, la plaque arabique et, au Nord, la plaque eurasiatique", explique Michel Campillo. La remontée de la plaque arabique vers le Nord tend -grossièrement- à éjecter progressivement la plaque anatolienne vers l’Ouest. Conséquence de ce puzzle tectonique, la Turquie est balafrée par deux grands systèmes de failles : la faille nord-anatolienne, qui passe près d’Istanbul et avait notamment généré le violent tremblement de terre d’Izmit de 1999, et la faille est-anatolienne, en cause ces derniers jours. Le Sud-Est de la Turquie et la Syrie sont donc des régions où la Terre tremble fréquemment, même si, précise le chercheur, "des séismes de magnitude supérieure à 7 ne s’y sont pas produits depuis le 19e siècle". La première secousse enregistrée lundi, de magnitude 7,8, a été suivie par une autre, de magnitude 6,7 et, 9 h après, par un troisième séisme de magnitude 7,5, sur une branche différente du système de faille. Un exemple qui souligne toute la complexité des phénomènes en jeu et la difficulté à prévoir le déroulement de ces épisodes.
La Terre vue d’en haut
Si les poussées tectoniques s’exercent de manière continue, les mouvements de failles, et donc les séismes, ne sont eux, qu’épisodiques. Ils surviennent lorsqu’une zone de surface, jusque-là verrouillée par la friction, cède brutalement sous l’effet des contraintes mécaniques qu’elle subit. "Les mouvements qui s’opèrent dans les profondeurs de la croûte terrestre sont désormais bien compris à grande échelle, grâce notamment à l’exploitation des satellites et au développement de la géodésie spatiale", rappelle Michel Campillo. Mais la géodésie à grande échelle ne suffit pas pour appréhender la complexité de l’aléa sismique et notamment à prévoir une succession de tremblements de terre après une période de quiescence. "Ce sont aussi des déformations transitoires locales (séismes ou glissements lents) qui sont responsables de l’enchaînement des grands séismes que nous observons", précise le spécialiste. Chaque système de failles réagit à sa manière à ces forçages, en fonction notamment de l’état des contraintes et des propriétés mécaniques de chaque faille, et crée à son tour de nouvelles déformations à ses frontières, contribuant à la complexité du phénomène. Le tout est difficilement prévisible. Et les dégâts qui en résultent encore davantage, même pour un séisme de magnitude donnée.
Géographie et urbanisme
"La notion de magnitude est souvent mal comprise, met en garde Michel Campillo. "La magnitude ne dépend pas tellement de l’amplitude des vibrations mais avant tout des dimensions du segment de faille qui est mis en mouvement. Ce sont ces dimensions qui déterminent celles de la zone qui sera touchée le plus fortement par le tremblement de terre". Mais, à magnitude fixée, les secousses qui vont ébranler le sol dépendent ensuite largement de l’état de surface : "au-delà de la distance à l’épicentre, la nature des sous-sols superficiels au site d’intérêt joue beaucoup". Certains terrains vont atténuer les ondes sismiques, là où d’autres vont au contraire les amplifier. "Les sols peu consolidés sont des résonateurs", explique Michel Campillo, "qui peuvent vibrer lorsque qu’ils sont excités par une fréquence bien particulière. Si les ondes sismiques produites par un séisme correspondent à cette fréquence caractéristique, elles vont fortement s’amplifier, maximisant les dégâts". Ce phénomène de résonance opère d’ailleurs à une plus petite échelle, celle des constructions. Lorsqu’on fait vibrer un bâtiment à sa fréquence propre, qui dépend de ses caractéristiques géométriques ou mécaniques (masse, rigidité, matériaux de construction utilisés), sa structure peut réagir en amplifiant là aussi considérablement les vibrations. "C’est ce qui explique que, parfois, des immeubles voisins de qualité de construction identique mais de dimensions diffèrentes ne subissent pas du tout les mêmes dommages".
Rédaction Hélène Perrin