La biodiversité en questions - Entretien avec Yvon Le Maho

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31 March 2021
La biodiversité en questions - Entretien avec Yvon Le Maho
31.03.2021
La biodiversité en questions - Entretien avec Yvon Le Maho

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À l’occasion du G7 qui se tient une fois par an, les académies des sciences des pays membres mènent à l’invitation de l’académie du pays organisateur un travail de réflexion en commun sur des thèmes scientifiques d’intérêt majeur.
Pour cette année 2021, les académies ont choisi la biodiversité parmi les trois thèmes sélectionnés pour leurs déclarations en vue du sommet prévu du 11 au 13 juin au Royaume-Uni1.
Yvon Le Maho, directeur de recherche émérite à l’Institut Pluridisciplinaire Hubert Curien (CNRS/Université de Strasbourg) et au Département Polaire du Centre Scientifique de Monaco, membre de l’Académie des sciences, a coordonné pour l’Académie des sciences la rédaction de ce texte. Dans un entretien accordé à l’Académie, Il fait le point sur ce sujet dont les enjeux environnementaux, sociétaux et économiques sont planétaires. Son argumentaire s’appuie sur de nombreux échanges avec l’Institut Écologie Environnement du CNRS et avec ses consœurs et confrères de la section de biologie intégrative de l’Académie des sciences dont les travaux de recherche portent sur la biodiversité.

  • Qu’est-ce que la biodiversité ?

    La biodiversité désigne la diversité du monde vivant sur notre planète au sein des milieux dans lequel il évolue et interagit (écosystème) entre espèces et au niveau génétique au sein d'une même espèce. Elle englobe les différents gènes, individus, espèces et écosystèmes qui se développent sur la Terre, leurs interactions et les divers habitats et paysages dans lesquels ils existent.


  • Pourquoi la biodiversité est-elle importante ?

    Toutes les espèces vivantes, l’espèce humaine comprise, sont à la fois inséparables et totalement dépendantes les unes des autres pour survivre. Cette survie dépend également des conditions physico-chimiques dans lesquelles elles évoluent, elles-mêmes façonnée en partie par l’activité des êtres vivants. Ainsi, lorsqu’une espèce disparait ou qu’un milieu se modifie, l’espèce qui en dépend s’adapte ou se déplace vers un autre milieu si cela est possible. Sinon, elle disparait à son tour.
    Pour toutes les espèces, la biodiversité fournit de la nourriture, un habitat. Pour les humains, elle fait en plus partie intégrante de sa survie, mais aussi de son bien-être spirituel, culturel, psychologique et artistique. Elle est une source d’innovation, notamment biomédicale, et une source très importante de matériaux et de médicaments. Elle a sa propre valeur intrinsèque distincte de la valeur qu'elle apporte à la vie humaine.
    Mais surtout, la biodiversité participe de façon essentielle à la régulation des cycles biogéochimiques qui régulent notre système Terre, notamment la qualité de l’eau, de l’air, la qualité et le maintien des sols, dont dépend l’espèce humaine. Elle joue aussi un rôle clé dans la régulation des risques naturels comme les inondations ou la submersion côtière, ainsi que dans la régulation des processus écologiques bénéfiques aux humains, tels que la pollinisation ou la prévention des épidémies. Les bénéfices tirés de la biodiversité et des processus écologiques et évolutifs sont absolument cruciaux pour les sociétés humaines.
    À l’issue de 5 ans de travaux, la plate-forme onusienne IPBES a publié un rapport2 sur l’évaluation de l’importance cruciale de ces contributions de la nature à la qualité et même à terme à l’existence de la vie humaine, en intégrant les points de vue des sciences de la nature et des sciences sociales. L’Assemblée générale des Nations Unies a inscrit en 2019 la préservation de la biodiversité marine (ODD14) et la biodiversité terrestre (ODD 15) parmi les 17 objectifs de développement durable3 que chaque nation se doit d’atteindre. De son côté, dès 2013, l’UICN a développé et fait la promotion du concept de Solutions fondées sur la Nature (SfN), définies comme "les actions visant à protéger, gérer de manière durable et restaurer des écosystèmes naturels ou modifiés pour relever directement les défis de société de manière efficace et adaptative, tout en assurant le bien-être humain et en produisant des bénéfices pour la biodiversité”.


  • Quel est l’état de la biodiversité aujourd’hui au niveau mondial ? Quelles sont selon vous les causes majeures de sa dégradation ?

    La tendance mondiale est claire : la biodiversité est menacée. Nous sommes engagés dans une extinction de masse caractérisée par un rythme d’extinction sans précédent et les humains en sont la cause. Près de 20% des 50 000 vertébrés ont disparu au cours de 15 derniers milliers d’années et les rythmes d’extinction sont d’un ordre de grandeur 100 fois supérieur au rythme naturel, avec des projections qui augmentent même encore d’un ou deux ordres de grandeur. Nos exigences envers la nature dépassent déjà de loin sa capacité de service. Presque tous les problèmes rencontrés par l'humanité ont des conséquences pour la biodiversité, ce qui aggrave en retour ces problèmes par un phénomène dit de rétroaction.
    On parle fréquemment de "la catastrophe écologique du changement climatique". En fait, comme l’a rappelé l’Académie des sciences en 2017 dans son rapport "Les mécanismes d’adaptation de la biodiversité aux changements climatiques et leurs limites"4, ce n’est pas le changement climatique observé depuis environ 150 ans qui est la cause majeure de la dégradation récente de la biodiversité. Une étude menée sur plus de 8000 espèces menacées selon la liste rouge de l’Union Internationale de Conservation de la Nature5 montre en effet que les causes largement dominantes de leur déclin actuel sont la surexploitation des espèces sur les continents comme dans les océans, l’agriculture, l’élevage, de nombreuses modifications des sols par la déforestation et l’urbanisation, et l’impact des espèces envahissantes. Ce phénomène de déclin de la biodiversité est donc évidemment aggravé par l’accroissement de la population humaine. Comme le meilleur rempart contre le changement climatique est justement la biodiversité, l’impact du changement climatique sur celle-ci sera d’autant plus grand qu’elle est donc déjà fragilisée et l’équilibre des écosystèmes menacé. C’est la capacité de la biodiversité à répondre aux besoins des populations humaines qui est donc menacée.
    La cause profonde des crises de la biodiversité et du changement climatique est liée au modèle global dominant de société tourné vers une croissance économique par la production et la consommation non durables de biens matériels. Il faudra donc veiller à ce que la résolution de la crise climatique ne se fasse pas au détriment de la biodiversité, mais soit au contraire bénéfique à la biodiversité.
    Comme l'expliquent les académies dans leur déclaration, nos réponses au déclin de la biodiversité aux niveaux mondial et national sont totalement insuffisantes. Selon le Global Biodiversity Outlook6 de 2020, qui résume les dernières données sur l'état et les tendances de la biodiversité, aucun des 20 objectifs d'Aichi pour la diversité biologique, définis dans le Plan stratégique pour la diversité biologique 2011-20207, n'a été pleinement atteint.
    À titre d’exemple, depuis la ratification de la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique en 1992, plus d'un quart des forêts tropicales qui existaient alors ont été abattues.


  • Quelle est la situation en France ?

    Le rapport L’environnement en France en 20198, fait état d’une évolution préoccupante de l’érosion de la biodiversité en France avec un risque de disparition des espèces plus élevé dans les territoires d'Outre-mer insulaires (39 %) qu'en métropole (12 %) : "La France héberge 10 % des espèces connues et, chaque jour, de nouvelles espèces sont découvertes. Ses nombreuses espèces endémiques, qui ne vivent nulle part ailleurs sur la planète, lui confèrent également une forte responsabilité. La France figure parmi les dix pays hébergeant le plus grand nombre d’espèces menacées au niveau mondial, du fait des pressions exercées par les activités humaines et de ses territoires ultramarins répartis sur l’ensemble du globe".
    Pour ce qui concerne la forêt, principal réservoir de biodiversité, aucune stratégie d’adaptation au changement climatique n’a été élaborée et les moyens mis en œuvre sont dérisoires.


  • Quels sont les grands principes sur lesquels se sont mises d’accord les académies des sciences qui permettront de stopper le déclin de la biodiversité et d’inverser la tendance ?

    Le déclin de la biodiversité est un problème mondial qui nécessite une approche commune et une action coordonnée entre les pays pour :
    • augmenter le niveau de protection des espaces protégés, et revoir en profondeur les textes de réglementation, les textes en vigueur étant insuffisants et les aires protégées mal réparties entre régions. Cela implique notamment la "sanctuarisation" totale de certains territoires en milieu continental, sanctuarisation dont on a mesuré depuis longtemps l'impact positif en milieu marin ; Ces zones protégées ne sont de toutes façons pas suffisantes ;
    • assurer le financement de recherches fondamentales ambitieuses pour le renforcement de nos connaissances sur la dynamique de la biodiversité à toutes les échelles, spatiales et temporelles ;
    • appliquer la législation et les réglementations environnementales existantes, et coordonner la réglementation entre les grands secteurs économiques (agriculture, foresterie, pêche et aquaculture, énergie, transport, développement urbain et infrastructures) afin d’éviter des actions et incitations défavorables à la biodiversité ;
    • développer une agriculture et une foresterie durables, respectueuses des êtres vivants, au service de la sécurité alimentaire et d’une nutrition de qualité, d’une production de matériaux et de médicaments, mais aussi au service de la régulation du climat, ainsi que des cycles de l’eau et de l’air, pour une population humaine croissante ;
    • encourager efficacement la protection, la restauration et la diversification des habitats naturels, et rétablir la nature dans les paysages ruraux et urbains ;
    • lutter contre les facteurs d’érosion de la biodiversité qui favorisent l’émergence et le développement des pandémies comme la déforestation, le braconnage et le commerce d’animaux sauvages ;
    • veiller à la traçabilité dans les chaînes d'approvisionnement et informer les populations sur l’impact de la production et de leur consommation sur la biodiversité, afin d'influencer les décisions d'achat ;
    • encourager efficacement les changements transformateurs de nos modes de vie qui tendent à réduire l’empreinte environnementale, notamment en promouvant la transition vers des régimes alimentaires où les produits végétaux issus de pratiques durables prennent une plus grande part.


  • Quelles sont les principales difficultés ?

    La mise en place des systèmes de surveillance de la biodiversité nécessite des ressources dont de nombreux pays manquent, en particulier les régions tropicales riches en biodiversité comme dans nos territoires d’outre-mer.
    Les humains doivent apprendre à reconnaître la valeur de la nature, dans toutes ses acceptions, et sa place fondamentale dans le bien-être humain de manière à l'intégrer dans toutes les formes de prises de décision, y compris celles concernant la politique économique nationale. La biodiversité doit être prise en compte dans les grands programmes de recherche et dans les procédures comptables aux niveaux national et local afin que les économies ne dissocient plus la croissance économique de la durabilité à long terme de la biosphère.
    En sus du contexte économique et géopolitique, une grande difficulté réside sans doute dans l’acceptabilité des mesures de protection de la biodiversité par les acteurs locaux. La révision des réglementations doit se faire en comprenant comment les hommes interagissent avec la biodiversité des aires protégées afin de trouver les réglementations qui seront efficaces car mieux acceptées par tous. Cela nécessite notamment de mettre en œuvre des approches socio-écologiques et participatives pour identifier les interventions qui maximiseront les co-bénéfices. Ne seront ainsi conservées que celles qui sont viables à long terme pour les deux composantes sociales et écologiques.


1 - Déclarations des Académies des sciences du groupe des sept (G7) nations, mars 2021

2 - IPBES (2019): Summary for policymakers of the global assessment report on biodiversity and ecosystem services of the Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services. IPBES, Bonn, Germany. 56 pages

3 - Les 17 objectifs des Nations Unies pour sauver le monde

4 - Les mécanismes d’adaptation de la biodiversité aux changements climatiques et leurs limites – Rapport de l’Académie des sciences – Paris, juin 2017

5 - Les listes rouges des espèces menacées de l’Union Internationale de Conservation de la Nature

6 - Global Biodiversity Outlook 5 (GBO-5) 2020 - - Rapport de la Convention sur la diversité biologique (CDB)

7 - Plan stratégique pour la diversité biologique 2011-2020

8 - L’environnement en France en 2019 – Rapport de synthèse du Ministère de la Transition écologique et solidaire et du Commissariat général au Développement durable